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#3 Interview d'Andrew Wickham - expert en formation linguistique

Chers lecteurs, nous avons le plaisir de vous dévoiler dans son intégralité, notre troisième interview. Nous tenons à remercier Mr Andrew WICKHAM, expert en formation linguistique, pour son aimable participation. Sous un format différent, nous vous laissons découvrir ses opinions et sa vision du secteur de la formation linguistique aux entreprises.

 

  1. Pouvez vous nous parler de vos débuts, de vos diverses expériences professionnelles ?

J’ai commencé comme formateur d’anglais en Espagne puis en France au début des années 80. Je suis devenu responsable pédagogique et en 1989, nous avons fondé, avec mon associé Steve Jankowski, Nexus Langues et Communication (25 formateurs) spécialisé en anglais des affaires. Nexus a été une aventure extraordinaire, qui s’est terminée fin 2003, suite aux deux crises de 2001 et 2002.

J’ai ensuite conçu et dirigé un projet de blended learning pour la société Transfer, qui a répondu à un appel d’offres de Renault. Avec 250 cadres supérieurs, répartis sur 5 usines, le but était de répondre à leurs attentes en anglais professionnel et en niveau TOEIC (obligatoire chez Renault). En même temps, il fallait les inciter à utiliser les nouvelles technologies.

Nous avons construit 6 parcours différents, comprenant de trois à six modalités (cours individuels, ateliers thématiques, e-learning, cours par téléphone, réunions téléphoniques, séances de turorat, immersion..) et les stagiaires pouvaient choisir à la fois le parcours et les ateliers qui les intéressaient (présentation, négociation, conduite de réunions ou de conf calls, etc..), permettant une personnalisation optimale pour chacun.

 

Ce projet a obtenu 4/4 à l’audit qualité et les niveaux de satisfaction étaient élevés. Il a toutefois été très difficile à monter et à gérer car à l’époque, nous n’avions pas d’outils de gestion en ligne (LMS) et on faisait tout avec des tableaux Excel. Il a fallu par ailleurs concilier les exigences de Renault, les impératifs économiques de Transfer et les attentes des stagiaires. J’ai transmis ce projet à mon successeur Simon Peters en 2006, et il perdure, même si les moyens ont été sensiblement réduits.

 

Par la suite, j’ai pris du recul et j’ai voulu comprendre les changements fondamentaux du secteur de la formation linguistique, qui sont intervenus dans les années 2000, pour permettre à d’autres entrepreneurs de ne pas se trouver dans la même situation que moi en 2003, annus horribilis de ma carrière.

Avec Joss Frimond, nous avons décidé de réaliser une étude de marché, car personne ne l’avait tenté jusque là, et que le marché était opaque, atomisé. En 2009, nous avons publié « Le Marché des Langues à l’Heure de la Mondialisation », qui a connu un certain succès et a souvent été cité dans la presse, devenant la référence de la profession. A partir de là, nous avons commencé à travailler comme consultants, Joss pour le commercial et le marketing, moi pour le positionnement, la stratégie, l’offre et la pédagogie. Notre but est de contribuer à la professionnalisation du métier.

 

En fin 2012, TOTAL m’a contacté pour remplacer la responsable du Centre de Langues de Paris pendant son congé maternité, repenser leur offre langues et préparer l’Appel d’Offres 2014, puisqu’ils arrivaient en fin de contrat triennal. J’ai donc pu mener à bien avec mon équipe une étude approfondie, technique, financière et pédagogique, des 6 grandes plateformes d’e-learning mondiales et des principaux spécialistes de la formation à distance. Un projet que j’ai adoré ! Cela m’a également permis de connaître un peu plus de l’intérieur la culture des grandes entreprises et de mieux comprendre la problématique des acheteurs et des responsables de formation.

 

  1. Quelle analyse ressort de votre étude de marché sur le secteur de la formation linguistique ?

 

Les changements constatés dans l’étude de marché sont en grande partie le résultat de la mondialisation de l’économie, impulsée par les évolutions technologiques (web, multimédia à distance, communication à distance avec les formateurs). Ce qui a poussé les grandes entreprises à centraliser leurs dispositifs de formation et à choisir leurs prestataires par appels d’offre.

 

Un peu d’histoire…

Vers la fin des années 1990, les multinationales ont commencé à centraliser les dispositifs de formation au niveau national, et à partir de 2006, certaines ont commencé à faire des appels d’offres internationaux. Cette évolution a été très difficile pour les organismes, que ce soit les réseaux traditionnels ou les écoles, car la plupart étaient des petites PME gérées par d’anciens formateurs de langues, tournées vers les besoins des établissements locaux de leurs clients, mais avec un manque de moyens et de compétences pour s’industrialiser. D’autant plus que les acheteurs ont mis les prix heure/formateur sous forte pression. Entre 1995 et 2009, selon nos calculs, le prix heure-formateur a baissé de 33% en euros constants.

 

Une lente concentration

Petit à petit, les managers français ont commencé à remplacer les anciens formateurs à la tête des organismes, même s’il reste aujourd’hui quelques-uns qui ont su s’adapter avec succès. Et on observe une lente concentration de l’activité. C’est la conséquence majeure de la généralisation des appels d’offres, qui excluent les petits organismes.

 

Le Boom de la formation à distance

Autre tendance, la divergence croissante entre la formation présentielle, qui baisse, et la formation à distance, qui se développe et représente aujourd’hui environ 15% du marché. Les charges sociales en France étant très élevées, le recours à des formateurs délocalisés s’est très rapidement répandu, entraînant une baisse conséquente du prix/formateur. Les principales sociétés de formation linguistique à distance ont été créées en France, qui est en avance par rapport aux autres pays.

 

E-learning et blended learning

Le e-learning en auto-formation a été un échec retentissant, avec un taux d’assiduité autour de 10%. On a dû remettre le formateur dans le mix. C’est pourquoi le « blended learning », ou formation mixte qui combine des cours avec un formateur « live » et des ressources en ligne, est devenu la modalité dominante. Par ailleurs, le blended learning permet, en mixant le e-learning peu cher avec le cours en face-à-face, de faire baisser le taux horaire global, benchmark presque unique des acheteurs, tout en maintenant une rémunération suffisante du formateur.

 

Des plateformes « blended » internationales

Pour répondre à la demande des multinationales, des groupes internationaux de formation en langues se constituent actuellement, réunissant des spécialistes de la formation à distance et du e-learning, des formateurs présentiels, et parfois des éditeurs mondiaux tels que Bertelsmann et Pearson. Ils développent aujourd’hui des centres de ressources en ligne, véritables cavernes d’Ali Baba qui proposent des coachs ou des tuteurs en ligne, des vidéo-news et des articles sous-titrés, des classes virtuelles, des jeux, des ressources grammaticales et lexicales, des programmes d’e-learning, des outils de phonétique, etc. Les plus grands (Berlitz-Telelangues, Pearson-Wall Street-GlobalEnglish, Education First) sont à la fois des écoles en ligne et des réseaux « en dur », avec des classes et des enseignants.

 

Mais pour l’instant, l’intégration attendue tarde à venir, car les rachats sont récents, il n’est pas simple de faire travailler ensemble des cultures d’entreprise aussi différentes et il faudra du temps pour que tout cela mûrisse. Il y a encore des freins techniques, financiers et logistiques importants.

 

Des spécialistes du distanciel agiles et mûrs

En revanche, les spécialistes de la formation à distance (téléphone et visio), plus agiles, qui travaillent depuis longtemps sur leur produit et ont fait des efforts constants pour l’améliorer, ont atteint aujourd’hui une certaine maturité et proposent des cours à distance « blended » aussi efficaces que les cours présentiels.

 

Des organismes qui créent leur propre offre en ligne

Enfin la démocratisation du web 2.0 a permis, grâce à la baisse des coûts des outils en ligne, à certains organismes présentiels dynamiques de développer leur propre offre « blended » en créant des ressources en ligne. (ex : le réseau Canspeak, Atribord, Interface Business Languages…).

 

Impact de la crise

A partir de 2008, la crise a frappé de plein fouet les organismes de formation linguistique. Les défaillances ont doublé et le chiffre d’affaires moyen a baissé de 10%. Depuis 2011, le marché s’est stabilisé, mais les marges sont très faibles – le bénéfice net moyen des organismes est aujourd’hui de 1,7% depuis 3 ans.

Toutefois, l’espoir était revenu en 2014.

 

La réforme m’a tué…

Cet espoir fût de courte durée. La réforme en cours, en arrêtant net le DIF, qui représentait 25 à 30% des formations linguistiques, et en le remplaçant par un CPF à l’accès compliqué, encore aujourd’hui en chantier, est en train d’achever des organismes déjà fragilisés – ils accusent aujourd’hui une baisse de chiffre d’affaires d’entre 15 et 25% par rapport à 2014. Par ailleurs les OPCA représentent environ 50% du CA de ces organismes et ils payent souvent très en retard, ce qui fragilise leur stabilité financière.

A moins d’un retournement rapide de la situation, peu probable vu l’attitude des pouvoirs publics et des partenaires sociaux, beaucoup d’emplois vont disparaître en 2015-2016 et beaucoup d’organismes risquent de se retrouver en défaillance.

 

  1. Quelle est votre définition d’une formation linguistique idéale ?

Des stagiaires motivés, qui ont le temps de travailler de manière régulière, des formateurs qualifiés et expérimentés, qui aiment leur métier et savent encourager et motiver leurs apprenants, un programme cohérent avec les objectifs (par exemple, 30 h de cours dans l’année à raison d’une heure et demie par semaine, alors que l’objectif est de booster le niveau général, est une perte de temps et d’argent), des ressources de qualité choisies en fonction de la personne, adaptées à son besoin et sous le contrôle du formateur. Si on veut une progression du niveau efficace, le rythme est essentiel : surtout en cas de niveau faible (A1/A2/B1) il faut alterner les phases intensives avec d’autres plus extensives de consolidation et il ne faut pas que la formation s’étale sur une trop longue période. D’autres types de besoins appellent d’autres rythmes.

 

Cohérence du programme

Il faut également, en cas de formation mixte, une très grande cohérence entre les modalités, les ressources en ligne et le travail en face-à-face. Mettre ensemble un programme e-learning fait pour l’autoformation, un formateur présentiel et par exemple, un module de téléphone fait par un formateur délocalisé, sans un travail d’intégration très poussé, mène toujours à l’échec.

 

Le prix-heure n’est pas un benchmark fiable

Il ne faut pas se focaliser sur le prix/heure formateur.

Ce qui est curieux est que la plupart des entreprises se rendent bien compte que la qualité du formateur, son implication, son engagement avec les apprenants est une des clés essentielles d’une formation qui fonctionne. Mais en même temps, ils exigent les « meilleurs » prix/heure possibles.

Or le coût du formateur représente entre 50 et 70 % du chiffre d’affaires des organismes, dont les marges sont déjà faibles. La pression sur les prix les oblige à engager des formateurs moins expérimentés, à moins les former, à précariser leurs emplois. La rémunération moyenne a baissée, en euros constants, de 20% entre 2000 et 2008 et leurs revenus se rapprochent de plus en plus du SMIC.

Il vaut mieux mettre la pression sur la qualité et l’efficacité de la formation, exiger des preuves de résultats, demander une réactivité et une proximité exemplaires, un système administratif efficace, que faire pression sur les prix/ heure.

 

De l’importance de l’évaluation

Autre point important : l’évaluation initiale et l’analyse des besoins est un élément essentiel si l’on souhaite que la formation soit efficace. Cette évaluation doit prendre en compte les 5 compétences du cadre commun de référence européen: la compréhension lue, la compréhension orale, l’expression écrite, l’expression orale et l’interaction orale (dialogue), car la communication professionnelle décisive passe aujourd’hui par l’oral avant tout. Bien entendu, si les objectifs sont restreints (ex : rédiger des emails), on ne testera que la ou les compétence(s) concernée(s) – ici l’expression écrite.

Or on constate une généralisation des tests automatisés (QCM), ne testant que deux compétences sur cinq, principalement en raison de leur coût. Les résultats sont souvent très approximatifs, voir dans certains cas faux. Ils sont inutiles pour former des groupes ou préparer une formation visant une amélioration globale du niveau – c’est pourquoi beaucoup d’entreprises demandent à leur prestataire de compléter avec un test oral.

 

Enfin, le retour sur investissement (ROI), ou sur attente, devient un sujet clé. Gestionnaires et financiers vont demander de plus en plus de preuves de résultats à l’avenir. Il faudra prendre la peine d’élaborer des outils et des indicateurs qui permettent une mesure réelle de la progression et de la qualité (l’assiduité, la complétude du programme, les résultats de tests de progression ou d’exercices en ligne, les travaux accomplis, le respect du rythme prévu, le taux de mémorisation, etc…).


[17/05/2015]